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Jean-Paul Gorce (1947-2025)

Jean-Paul Gorce. Photo: Jacques Mitsch


It is with great sadness that FIAF learned of the passing of Jean-Paul Gorce, a major figure of the Cinémathèque de Toulouse. Successively administrator, artistic director, curator and then advisor to the Cinémathèque, Jean-Paul Gorce died on Saturday 8 February at the age of 77. Two of his colleagues are paying tribute to him below.


Jean-Paul Gorce (1947-2025), l’homme-Cinémathèque

Notre Jean-Paul est mort et c’est un choc. Un coup dur pour toute l’équipe avec laquelle il continuait d’entretenir une belle complicité. Jean-Paul, l’homme-Cinémathèque à la mémoire d’éléphant. Jean-Paul, l’homme de culture qui nous impressionnait. Jean-Paul, l’ami très attachant qui pouvait être très drôle. Jean-Paul, le père que l’on admirait et à qui nous voulions ressembler… Jean-Paul…

Jean-Paul, une des grandes figures de la Cinémathèque de Toulouse qu’il avait rejointe dès le début des années 1970. Comme le rappelle Guy-Claude Rochemont (cofondateur et ancien président de la Cinémathèque) : « Jean-Paul (qu’il rencontre en 1969) était vraiment “devenu Cinémathèque” le jour où on l’a accepté dans le guichet-aquarium de la salle Montaigne, rue Roquelaine ». Il aura en effet tout fait à la Cinémathèque : d’abord bénévole, puis à mi-temps à la bibliothèque (car encore au CNRS), il devient administrateur puis directeur (1983 à 1997). Il laisse ensuite la direction de la nouvelle Cinémathèque rue du Taur à Pierre Cadars pour devenir conservateur de l’institution jusqu’en 2006 et préparer l’ouverture du Centre de conservation et de recherche. Enfin, il occupe le poste de conseiller auprès de Natacha Laurent jusqu’en 2012, date d’une retraite bien méritée.

Jean-Paul, un des piliers de cette Cinémathèque qu’il avait fait grandir dans les années 1980 et 1990 jusqu’à l’ouverture du 69 rue du Taur. Durant ces années de transformation pour l’institution, il avait fortement développé les collaborations avec d’autres structures culturelles en tissant de nombreux partenariats au niveau local – avec le Théâtre Sorano, le Goethe Institut, l’université Toulouse Jean-Jaurès, l’ENSAV et surtout la librairie Ombres Blanches – mais aussi au niveau national avec les Rencontres cinématographiques à Valence, CINEMED (Festival du Cinéma Méditerranéen à Montpellier), les ciné-concerts au Festival d’Avignon, le Festival International du Film de La Rochelle (aujourd’hui Festival La Rochelle Cinéma)…

Jean-Paul a été surtout un immense programmateur. Grâce à lui Werner Schroeter, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Jean-Luc Godard (sur lequel il a écrit), Agnès Varda et beaucoup d’autres ont marqué par leur venue l’histoire de la Cinémathèque… Il avait aussi une connaissance très fine des collections. Nous encourageant sans cesse à y revenir car une cinémathèque, c’est avant tout une collection. Lui qui, jusqu’à la fin, s’est interrogé sur le rôle des cinémathèques, et sur ce que celles-ci devaient montrer... Lui qui aimait tant se plonger dans les bases de données et qui pouvait passer un temps infini à reprendre et vérifier des listes de films, des dates, des noms... La Cinémathèque fut toute sa vie. C’est vrai que cela faisait quelques années qu’il n’avait plus franchi le porche du 69 rue du Taur, mais pourtant il était toujours là, avec nous.

Notre Jean-Paul est parti. Mais sans oublier de nous transmettre le relais. Il continuera de nous inspirer et nous continuerons à faire vivre son héritage.

Franck Loiret

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C’était le samedi 8 février en début d’après-midi. Il avait la mémoire des dates, précises. Il était la mémoire. Samedi 8 février en début d’après-midi, il faisait soleil, la lumière inondait une journée qui restera triste. Jean-Paul Gorce est mort. Parti sous d’autres cieux, comme on dit. Lesquels, on ne sait pas. On ne lui en connaissait qu’un : le septième ciel d’un art septième. Samedi 8 février à… … Il avait la mémoire des dates précises. Il était notre mémoire. Et il laisse un trou. Un trou de mémoire. Un trou dans nos ventres. Un trou dans nos coeurs. Un trou dans l’écran du cinéma. Des cinémas. Parce que pour lui le cinéma était multiple. Et il les aimait tous. De Werner Schroeter à Happy Feet, oui le film de manchots. Notre Empereur. Ton mon chou. Il n’y a pas de bons ou de mauvais films, disait-il, il n’y a pas de petits ou de grands films. Il y a le cinéma. Et la Cinémathèque est la maison de tous les films. Ils sont tous ses enfants. Comme il était notre père à toutes et tous à la Cinémathèque. Il était la Cinémathèque.

Chercheur au CNRS en sociologie, il la rejoint dans les années 1970. Comme bénévole d’abord. Embauché par Raymond Borde, plus tard, pour s’occuper de la bibliothèque. Un mi-temps. Entre le CNRS et la Cinémathèque. Ses deux passions. La sociologie et le cinéma. La sociologie du cinéma. La sociologie par le cinéma. Et puis il a été nommé administrateur. Et enfin, il en a été le directeur, dans les années 1990. Quand Guy-Claude Rochemont en a été élu président. Guy, l’amour de sa vie. Guy et Jean-Paul, le tandem dynamique de la Cinémathèque. Nos Batman et Robin. Indissociables. Nos super-héros à nous. En 1997, après l’ouverture de la Cinémathèque rue du Taur, il a cédé la direction à Pierre Cadars, le troisième mousquetaire de cette histoire, pour devenir conservateur. Pour travailler plus en profondeur sur les collections de la Cinémathèque. Jean-Paul était un programmateur hors pair, hors du commun. Le meilleur. Il n’en oubliait pas qu’une cinémathèque, c’est d’abord une collection ; qu’il faut toujours en revenir aux collections. Que l’âme d’une cinémathèque est dans ses collections. Et la Cinémathèque, c’était sa vie. Il se levait Cinémathèque. Il se couchait Cinémathèque. Il pensait Cinémathèque. Il buvait Cinémathèque. Il était Cinémathèque. Quand, au départ de Pierre, Natacha Laurent a pris la direction, il est devenu son conseiller. Et quand il a pris sa retraite, il était toujours là, avec nous, toujours parlant des films que nous regardions, toujours échangeant des idées de programmations, s’interrogeant toujours sur ce qu’était une cinémathèque. On ne quitte pas la Cinémathèque. Elle coule dans vos veines. Lui, il s’est coulé dans ses veines à elle. Il lui a donné son ADN.

Jean-Paul n’aimait pas la lumière. Il la fuyait. Il préférait les archives, se couler dans la chaleur de la salle obscure. Il n’aimait pas la lumière. Et il était pourtant brillant. Le plus brillant d’entre toutes et tous. Un brillant. Et si les femmes, dit-on, préfèrent les diamants, on peut vous dire que les hommes aussi. Il était beau. Il était notre phare. Et il va nous manquer. Nous garderons son éclat pour avancer dans les ténèbres dans lesquels sa disparition nous plonge. Et son âme brillera encore dans le faisceau des projecteurs quand le film se jettera de nouveau sur l’écran. Tous les films. Il les aimait tous. Et nous l’aimions tant.

Franck Lubet